Cet univers où des portes habitent le dos des gens


« La vérité ne se trouve pas au bout de l’illumination, mais elle se dissimule justement au fond du marais du monde des démons. On ne peut écrire de romans qu’en intégrant en soi la folie, pas en la niant ».
Yoko Ogawa

On ne peut voir derrière soi.
Personne ne peut se regarder la nuque, le dos, les fesses.
Personne n’est assez prompt pour se palper les omoplates.
On a beau se contorsionner face au miroir, le dos reste derrière.
Là où on sent les vertèbres du bout des doigts. À l’envers.
Cette zone de persistance. L’inatteignable où les souvenirs s’entassent.
Ce dos chargé d’angoisse.

On ne peut passer derrière soi.
Personne ne sait se regarder à distance, telle une ombre.
On cherche à avancer, sans se préoccuper de l’arrière, l’avant, le début, les passés.
On arpente des étendues. On s’arrête parfois.
Dos au mur.
On rencontre des portes.
On les croise, cherche parfois à les ouvrir.
Sortir à tout prix. S’extraire.
Voir sous un autre angle.

Ou aller au-dedans. Passer une porte.
Entrer dans la boutique. Toucher les os, la colonne.
Avec plus loin les chairs et organes qui palpitent et s’épanchent.

Ouvrir une autre porte. Regarder l’antichambre. Hésiter. Revenir.
Se perdre dans les bois. Entrer dans la torpeur.
Se sentir suivi. Regarder derrière soi.
Pointer du doigt les fantômes. Presque rassurants.

Chercher la sortie. Une petite porte.
Une trappe dans le sol. Rentrer dans le marais.
Boire la tasse et se laisser finalement entraîner par le courrant.
Traverser les algues et les sangsues.

Avancer dans la pénombre sans savoir, sans comprendre.
Se voir un peu plus loin, sur un chemin, entre les arbres. Se poursuivre.
Se voir disparaître. Courir vers cette porte.
Entrer au-dehors.

Arpenter son dos. Trouver les charnières.
La poignée en laiton.
Ouvrir la porte de son dos.
Et s’y laisser surprendre.