NOTE D INTENTION

COMMENT DIRE ?



On ne peut voir derrière soi.
Personne ne peut se regarder la nuque, le dos, les fesses.
Personne n’est assez prompt pour se palper les omoplates.
On a beau se contorsionner face au miroir, le dos reste derrière.
Là où on sent les vertèbres du bout des doigts. À l’envers.
Cette zone de persistance. L’inatteignable où les souvenirs s’entassent.
Ce dos chargé d’angoisse.

On ne peut passer derrière soi.
Personne ne sait se regarder à distance, telle une ombre.
On cherche à avancer, sans se préoccuper de l’arrière, l’avant, le début, les passés.
On arpente des étendues. On s’arrête parfois.
Dos au mur.
On rencontre des portes.
On les croise, cherche parfois à les ouvrir.
Sortir à tout prix. S’extraire.
Voir sous un autre angle.

Ou aller au-dedans. Passer une porte.
Entrer dans la boutique. Toucher les os, la colonne.
Avec plus loin les chairs et organes qui palpitent et s’épanchent.

Ouvrir une autre porte. Regarder l’antichambre. Hésiter. Revenir.
Se perdre dans les bois. Entrer dans la torpeur.
Se sentir suivi. Regarder derrière soi.
Pointer du doigt les fantômes. Presque rassurants.

Chercher la sortie. Une petite porte.
Une trappe dans le sol. Rentrer dans le marais.
Boire la tasse et se laisser finalement entraîner par le courrant.
Traverser les algues et les sangsues.

Avancer dans la pénombre sans savoir, sans comprendre.
Se voir un peu plus loin, sur un chemin, entre les arbres. Se poursuivre.
Se voir disparaître. Courir vers cette porte.
Entrer au-dehors.

Arpenter son dos. Trouver les charnières.
La poignée en laiton.
Ouvrir la porte de son dos.
Et s’y laisser surprendre.


LA NOUVELLE

La petite pièce hexagonale est le récit d’une attente et d’une perte. 
Une femme dont on ne connaît pas le nom découvre une salle insolite à laquelle on accède en se perdant. 
Cette grande armoire de bois hexagonale dans la salle de gardiennage d’une cité désaffectée est 
la petite pièce à raconter. Gardée par une mère et son fils, Midori et Yuzuru, 
la pièce en bois est vide et invite des individus à y parler, à s’épancher, à dire…
La narratrice ressent une forme d’addiction à cet endroit silencieux. 
Elle y vient, se perd, y revient et se laisse aller progressivement à cette inquiétante étrangeté qui l’habite… 
Mais le doigt sur les lèvres, on se doit de ne pas en parler…


LA LANGUE

Cette nouvelle de Yoko Ogawa est extrêmement narrative. 
Nous suivons une femme dont on ne connaît pas le nom ni le visage
Nous chercherons avant tout à explorer cet endroit, la petite pièce hexagonale, comment on y vient, 
l’addiction qu’il peut provoquer, la perte qu’il engendre…
C’est dans la langue, les mots, les réflexions de cette héroïne que nous puiserons pour définir cet endroit, 
pour s’en approcher de manière sensorielle.
L’héroïne a un regard neuf et interrogatif vis-à-vis de la pièce. Elle est comme nous, lecteur, dans une forme d’attraction/répulsion.
C’est ce mouvement vers l ‘étrange que nous chercherons à explorer. 
C’est cette sourde inquiétude que nous souhaitons conserver dans notre découpage du texte…
Utiliser le mot comme matière à la création. 
Au même titre que les comédiens, la marionnette, les objets, la lumière, les sons…


COMMENT ON S’Y REND

Répondre à cette question : Qu’est-ce qu’une petite pièce hexagonale ?
Il s’agit pour nous de tourner autour de la pièce, d’errer un peu entre ville, forêt, zone industrielle, plaine… 
pour recueillir des indices nous permettant de la définir.
Appréhender les distorsions du temps et de l’espace à son approche… 
Se perdre pour y venir, puisqu’il faut se perdre…
Et ouvrir la porte de la salle de gardiennage pour discuter avec ses gardiens…
Que cachent-ils ? Que gardent-ils ?
Qu’attendent-ils ?
Il s’agit de créer du vide, du silence, du temps à travers les corps, les personnages et les objets.


L’ENDROIT

La représentation de cet endroit, du parcours pour s’y rendre, des autres visiteurs se feront 
à travers un jeu d’échelles mêlant comédiens et marionnettes.
Comme pour inventer différentes présences au monde.
La pièce est dans notre tête,dans notre corps, tout autour de nous, dans un autre pays… 
Elle est notre esprit, le lieu de la représentation… 
Elle n’existe pas…
Le spectateur est-il là pour y entrer ? Est-il déjà à l’intérieur ? 
Ce dispositif scénique brouille les repères par un jeu de mise en abîme, 
entre des espaces intimes, psychanalytiques, sociaux…
La pièce peut n’être qu’une paroi verticale. 
Cette paroi est une planche, une porte, un petit rectangle de carton, à traverser.


L’ANIMÉ

Dans les nouvelles de Yoko Ogawa, les objets semblent animés d’une vie propre.

« Les choses sont importantes. On ne voit pas les cœurs, mais les choses, on les voit. 
Elles sont honnêtes. Telles quelles. Les objets donnent naissance à des images, déplacent le récit »

Les personnages de Yoko Ogawa paraissent immobiles, éloignés des autres, perdus dans la nuit,
dans leurs sommeils, leurs insomnies.
Ils sont comme effacés, en second plan.
Et c’est dans la rencontre avec l’objet vivant qu’une évolution est possible.
La marionnette, la lumière, les figures, les parois, le son, les hommes tout peut s’animer. 
Tout peut alors s’articuler
La pièce à raconter respire. 
Où disparaît alors l’homme qui entre à l’intérieur ?